"J’ai fait un long voyage dans ma jeunesse, un voyage extraordinaire qui m’a emporté loin, très loin de mon quotidien, aux portes d’un monde à la fois merveilleux et cruel. Un voyage qui… Non ! Pas tout de suite ! Pas trop vite ! Il vaut mieux que je vous raconte d’abord le rêve étonnant par lequel tout a commencé…

Ce songe racontait l’histoire d’un enfant aux cheveux couleur de l'horizon. Dans ses yeux se reflétaient toutes les lumières de la vie : on y lisait les ruisseaux, le ciel bleu, la cime des montagnes enneigées ; on y découvrait la force du vent, le ressac de la mer, le hurlement des loups.
Si le gamin aimait le soleil, il appréciait tout autant les étoiles : dans chacune d'entre elles, il entrevoyait un petit message qu'un homme avait accroché là-haut, pour que l’humanité entière puisse le lire. Il avait d'ailleurs déjà rencontré l'accrocheur d'étoiles, le messager des amoureux, des désespérés, de tous ceux qui voulaient partager leurs sentiments avec le monde entier...
Souvent, il parlait avec la brise, tout bas, dans son cœur. Elle lui racontait l'histoire des Hommes ; elle lui apprenait l'amour, la vie. Et pour la remercier, l’enfant accrochait au flanc des collines des milliers de petits moulins, qui tournaient, et tournaient encore dans le vent.

Un jour, une abeille vint déposer dans sa main une minuscule graine. L'insecte aux couleurs dorées lui dit alors :
— Je te remets aujourd'hui un des grands rêves de ce monde. Par l'intermédiaire de cette semence, tu donneras vie à une jolie fleur. Cette naissance sera pour toi le sel de ton existence. A toi d'en prendre soin. A toi de lui donner amour et chaleur pour que cette fleur embellisse la terre que tu auras choisie pour l'accueillir.
L’enfant décida que la vie qui sortirait de cette minuscule graine devrait s’épanouir parmi les contes du vent. Le gamin se mit donc à escalader les rochers pour aller porter son trésor au sommet de la montagne. Il enjamba une multitude de torrents, prenant bien soin de ne pas déranger les animaux qui s'enivraient des odeurs alentours, et sentit alors son cœur battre au même rythme que celui de la Terre...

Arrivé au sommet, il vit le grand pré verdoyant qui s'étendait devant lui et entendit l'appel des insectes qui butinaient à ses pieds. Il perçut alors la fraîcheur de l’herbe qui bruissait au gré du vent. Il se fit la réflexion qu'il lui faudrait revenir, avec un petit moulin, pour que la vie ne quitte jamais cet endroit. Il se pencha sur la prairie, creusa un trou et y déposa son rêve. Un nuage vint aussitôt disperser de fines gouttelettes d'eau sur cette belle image. Puis, l’enfant esquissa un sourire lorsque la brise lui caressa les cheveux. Il écouta l'appel que lui fit l'eau du torrent au bas de la montagne. Elle lui dit :
— Cours ! Cours devant toi. Ne t'arrête pas. Viens rencontrer la vie. Cours avec les oiseaux, cours avec les arbres, cours avec le ciel, cours avec tes rêves. Attrape les étoiles là-haut et souffle ton amour : elles seront plus belles ; elles luiront d’une lumière plus intense la nuit ; elles protégeront mieux les Hommes... Cours et ne t'arrête plus. Envole toi par dessus les cimes et crie ta joie, crie tes espoirs, crie tes envies. Cours avec le vent, cours, cours !

Alors, le petit ange s'élança. Il courut et courut encore : il attrapa ses rêves et devança ses espoirs. Il courut et courut encore : il cria sa joie et souffla son amour. Il courut et courut encore : il rêva ses envies et envia ses rêves. Il courut et courut encore...

La montagne était en fête : l'herbe du pré se fit plus odorante, les animaux se firent plus beaux, le ciel se fit plus bleu, le vent se fit plus doux...
Il courut et courut et courut encore : il était ivre de bonheur ! Il aimait la sueur de la vie qui lui coulait le long des joues ! Il aimait l'affolement de son cœur qui battait maintenant plus vite que celui de la Terre ! Il aimait la ronde des moulins autour de lui !

Il courut et courut encore...

Il ne vit pas le précipice qui s'ouvrait sous ses pieds... Il tomba... Il cria, longtemps, longtemps... et puis plus rien...

Les étoiles luisaient dans le noir de la nuit, l'accrocheur d'étoiles accrochait ses étoiles, les petits moulins tournaient au gré du vent, les arbres et les fleurs dispersaient leurs odeurs dans le pré : c'était un jour comme les autres."

 

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L'autre monde (I)